Georges DESCOMBES : Bonjour dans cette séquence « Les leviers à actionner en ce qui concerne la réduction significative des émissions de gaz à effet de serre ». Cette interview qui va être réalisée à l’instant, est centrée principalement sur les énergies décarbonées. Pour ce faire, nous présentons notre invité, il s’agit de Monsieur Marc PORT qui est professeur du Cnam, titulaire de la chaire des industries chimiques et pharmaceutiques après un long parcours professionnel et industriel. Les centres d’intérêt en enseignement de Monsieur PORT sont relatifs aux nouvelles stratégies de découverte des médicaments d’une part, et de la chimie verte d’autre part. Les centres d’intérêt en recherche du Professeur Marc PORT concernent la fabrication de nanoparticules à visée thérapeutique et diagnostique à l’aide de procédés robustes et compatibles avec la chimie verte. Ce qui m’amène, cher collègue, à une première question, en termes d’énergie décarbonée, pourquoi les biocarburants ? Marc PORT : En fait, la nécessité de diversifier les biocarburants est finalement née de trois constats. Le premier, c’est le prix des énergies fossiles, même si, en ce moment, le cours du pétrole baisse un peu. Le second, c’est l’utilisation massive de ces énergies et leur stockage qui est de plus en plus réduit alors que 97 % de l’énergie dédiée aux transports est dû au pétrole et puis surtout, comme on l’a un peu mentionné, le réchauffement climatique, avec les émissions de gaz à effet de serre et de dioxyde de carbone liées à la combustion de ces énergies fossiles et aussi les pollutions atmosphériques dues à des oxydes soufrés ou azotés. Alors face à ce constat, finalement, les biocarburants peuvent apparaître comme une solution prometteuse. D’abord, ils sont issus de la biomasse, renouvelable donc. Et la biomasse peut être considérée comme une forme de stockage de l’énergie solaire à travers des molécules comme l’amidon, la cellulose et les lipides. Ensuite, ces biocarburants, finalement, lors de leur combustion, vont dégager relativement peu de polluants et puis, en termes d’effet de serre, puisqu’ils sont issus d’une biomasse qui consomme dans le processus de photosynthèse du CO2, on peut penser qu’elles vont réduire ces émissions. Alors un petit inconvénient qui va venir des biocarburants, c’est leur rendement énergétique puisque finalement, il faut plus de litres de biocarburant pour parcourir 100 km que de litres d’énergie fossile. Georges DESCOMBES : Merci. Cela nous amène à une seconde question. Puisque vous parlez des vertus écologiques de ces biocarburants, vous serez d’accord qu’il faut, en toute rigueur, également, avoir une approche en termes d’analyse de cycle de vie, pour vérifier comment est-ce que cela se passe en termes d’impact environnemental depuis le berceau à la tombe, va-t-on dire. Ce qui m’amène à la question suivante. Comment fabriquera-t-on les biocarburants demain en quelques mots ? Marc PORT : Déjà, aujourd’hui, on a des biocarburants qui sont sur les marchés, biocarburants dits de première génération, qui sont obtenus soit à partir de plantes sucrières pour du bioéthanol de première génération, soit à partir de plantes oléagineuses pour ce qui est des biodiesels et, comme vous dites tout à fait, le problème reste un problème écologique avec ces biocarburants. D’une part, leur impact sur la réduction de l’effet de serre est extrêmement limité et va dépendre beaucoup des combustions de cultures, des plantes qu’on va utiliser pour ces biocarburants, et de l’utilisation plus ou moins intensive d’engrais azoté. Mais surtout, la culture de ces plantes va se faire aux dépens des surfaces agricoles alimentaires. Et cela va avoir un impact éventuellement sur la sécurité alimentaire, voire même sur les cours des denrées alimentaires, et c’est quand même ce qui a permis à ZIEGLER d’écrire que c’était un véritable crime contre l’humanité que de dédier des surfaces agricoles aux biocarburants plutôt que les dédier aux surfaces alimentaires. Alors, de ce fait, les chercheurs aujourd’hui, essaient de minimiser cet impact des biocarburants de première génération sur la culture compétitive avec des denrées alimentaires, et aujourd’hui, développent des biocarburants dits de deuxième génération qui ont pour vocation finalement, non plus à utiliser une petite partie de la plante, mais l’intégralité de la plante, l’intégralité de la biomasse dite lignocellulosique pour obtenir des biocarburants de deuxième génération. On a là deux filières qui se développent. Une filière essence, où l’on va faire du bioéthanol de deuxième génération par une voie dite biochimique. Donc là, il s’agit déjà d’exploser, de déstructurer la matrice lignocellulosique pour obtenir, d’une part, de la cellulose, d’autre part, de l’hémicellulose. Cette cellulose est biotransformée avec des enzymes en glucose, l’hémicellulose en pentose. Ces deux sucres, glucose et pentose sont fermentés par des techniques très classiques enzymatiques en bioéthanol qui, ensuite, est purifié et déshydraté par distillation. Quant au biodiesel, en fait, il est obtenu par une voie tout à fait différente. La biomasse est pironisée à très haute température pour obtenir un gaz de synthèse et les chimistes savent depuis la seconde guerre mondiale, très bien convertir ce gaz de synthèse en hydrocarbure liquide qui, après purification, donne ce biodiesel de deuxième génération. Alors on résout un peu avec ce constat que le problème d’un point de vue écologique de l’utilisation de terres agricoles comme je l’ai dit. On ne résout pas tout. Il faudra être vigilant d’un point de vue écologique, sur la gestion de la forêt durable, sur la perte de biodiversité. Et il nous reste deux verrous importants à lever pour faire de ces biocarburants de deuxième génération des produits sur le marché rentables économiquement et écologiquement. Il faut surtout industrialiser les procédés qui, aujourd’hui, par petits bouts, fonctionnent. On est au stade du pilote préindustriel. Et puis, il faut va falloir adapter ces procédés à l’intégralité de la biomasse disponible. Cela peut être des déchets forestiers, cela pourrait être des cultures dédiées non comestibles à croissance rapide, à un certain nombre de solutions à explorer. Et puis, là, une voie vraiment de recherches, on n’est même plus dans le développement industriel, c’est les biocarburants de troisième génération. Alors là, on va faire appel à la chimie bleue, quelque part, à l’utilisation de ressources renouvelables marines, en l’occurrence des microalgues. Et c’est assez intéressant parce que ces microalgues, notamment sous stress, certaines d’entre elles ont la capacité de produire une grande quantité d’acides gras. Ces acides gras sont ensuite transformés très simplement par transestérification en biodiesel de troisième génération. Elles sont tellement intéressantes ces microalgues qu’elles ont des productivités à l’hectare qui peuvent être 6 à 20 fois supérieures au stade du laboratoire à des plantes oléagineuses. Alors là, il y a énormément de verrous technologiques à surmonter pour mettre ces carburants de troisième génération sur le marché. On est assez loin du time to market. Il faut déjà sélectionner les meilleures microalgues dans la biodiversité marine et puis éventuellement, les faire muter génétiquement pour qu’elles soient plus productives, mais aussi plus faciles à récolter, parce que c’est un point délicat de les récolter. Il faut ensuite qu’on apprenne à les cultiver, soit en bassin ouvert, soit en photoréacteur. Et puis, il faut qu’on apprenne à correctement séparer ces acides gras qui vont donner du biodiesel d’autres métabolites produits par ces microalgues marines. Georges DESCOMBES : Merci. Une ultime question conclusive qui est la suivante. Les biocarburants ne sont-ils finalement pas un bon exemple du concept de chimie verte et, une brève réponse conclusive, pour conclure, sur la notion de chimie verte. Marc PORT : Eh bien si, elles le sont et c’est même un excellent exemple qui a eu douze principes énoncés dans cette chimie verte dans les années 90. Les biocarburants de deuxième génération et de troisième génération respectent au moins trois : l’utilisation de l’énergie renouvelable, la limitation des pertes énergétiques et la limitation des rejets des pollutions. Et finalement, cette chimie verte a traversé le biocarburant mais d’autres axes de recherche pharmaceutique, chimie fine, etc. est une vraie révolution de la chimie actuellement, puisque les chimistes s’attachent à revisiter toutes les réactions chimiques pour les rendre sûres et compatibles avec l’environnement et s’attachent aussi à redécouvrir et à fiabiliser, à améliorer tous les procédés chimiques industriels, là encore pour les rendre plus sûres et compatibles avec le développement durable. Georges DESCOMBES : Très bien. Merci de cette note de conclusion optimiste dans cette séquence. Merci Christophe. Au revoir.