Interviewer : Ma troisième question, William, s'adresse au Directeur du Laboratoire de recherches, et en particulier : à quoi sert la modélisation des risques sanitaires dus aux changements climatiques ? Donc, une question lourde. William DAB : Oui, c'est une question complexe. Il faut bien réaliser quels sont les outils d'étude qu'on a à notre disposition ? Premièrement, l'expérimentation. Elle nous est interdite. Nous ne pouvons que constater l'évolution de la réalité climatique. Deuxièmement, l'observation, notamment l'observation épidémiologique. Si on met de côté les situations caniculaires, on parle d'effets sur la santé qui, en grande partie, vont être différés. Ils ne vont pas être immédiats. Donc, le problème de l'observation épidémiologique, c'est qu'à la limite, quand elle va nous apporter un niveau de preuve satisfaisant, il sera trop tard pour agir. Donc aujourd'hui, avec le savoir accumulé, on veut être proactif. On veut essayer, on veut éviter, on veut prévenir. On veut agir avant qu'il ne soit trop tard. Alors, le prix à payer pour cela, c'est d'agir sous incertitude. La modélisation, c'est un ensemble d'outils mathématiques, statistiques, qui permet de réduire l'incertitude, pas de l'annuler complètement. De la réduire. Habituellement, voilà : on va utiliser les données du passé, on va trouver les fonctions mathématiques ou statistiques qui permettent de les décrire le mieux, et puis on va les projeter vers l'avenir. Rien ne nous dit que l'avenir va suivre les mêmes lois du passé. D'un autre côté, sur un certain nombre de phénomènes, notamment des phénomènes sanitaires, la relation entre la température et la mortalité par exemple : elle est parfaitement bien décrite. Si on augmente la température moyenne dans nos villes, l'été, nous allons augmenter la mortalité. C'est un modèle qui le dit, mais c'est un modèle qui a été vérifié tellement de fois par l'observation, qu'on considère qu'il représente la réalité. D'autres modèles - nous parlions à l'instant des maladies vectorielles, des maladies transmises par les moustiques - sont plus spéculatifs. Ils sont construits sur un jeu d'hypothèses. Est-ce que ces hypothèses seront vérifiées par l'observation ? On n'en a pas la certitude aujourd'hui. Comment s'en sortir et comment concilier tout cela ? Je pense que le modèle du GIEC est assez remarquable. Et le GIEC prend bien soin d'expliquer qu'il ne dit pas la vérité. Il utilise au mieux les connaissances scientifiques disponibles pour anticiper les évolutions. D'ailleurs, toutes les observations, tous les scénarios du GIEC, sont encadrés d'un intervalle de confiance, ce qui montre bien qu'ils ne prétendent pas nous dire l'avenir. C'est l'expertise collective, pluridisciplinaire, contradictoire, qui permet de construire le meilleur jeu de modèles, avec les meilleurs outils disponibles aujourd'hui, et qu'est-ce qu'il faudra faire ? Il faut mettre en place des systèmes de surveillance - c'est exactement le thème de travail en laboratoire - de sorte qu'au fur et à mesure où les données s'accumulent, elles seront confrontées aux prédictions du modèle. Et c'est ainsi que, étape après étape, nous améliorerons la valeur prédictive des modèles. Donc, la modélisation, c'est fondamental. C'est la seule manière de faire, cela sert à réduire l'incertitude. Maintenant, prendre des décisions importantes au plan économique, au plan social, au plan de nos modes de vie, qui soient fondées sur des modèles. Oui, cela soulève un certain nombre de difficultés qui sont au cœur des négociations internationales sur le climat. Interviewer : Ce qui m'amène peut-être, pour conclure cet exposé, à une observation. Dans cette semaine centrée sur l'énergie et la santé, vous avez insisté en premier lieu sur les risques sanitaires liés à la pollution atmosphérique, et il me semble que vous avez bien montré que les risques sanitaires liés à cette pollution étaient finalement, somme toute, plutôt bien encadrés et en tout cas, bien cartographiés, ce qui est sûrement beaucoup moins le cas pour ce qui concerne la thématique de l'impact sanitaire du réchauffement climatique. Qu'est-ce que l'on peut dire pour conclure ? William DAB : Alors déjà, ce qu'il faut réaliser, c'est qu'il y a différentes échelles. Il y a l'échelle locale, l'échelle régionale, l'échelle continentale et l'échelle planétaire. Et ces échelles ne sont pas des compartiments étanches. Il y a une relation entre ce qui se passe dans ces différents compartiments. Pour des raisons de disponibilité de données, c'est l'échelle locale, l'échelle urbaine qui est la mieux documentée, et pour laquelle il y a le moins d'incertitude. Si on parle de pollution photo-oxydante, l'échelle locale n'a plus de sens. On est au moins sur une échelle régionale voire sur une échelle continentale. Donc, ce sont des phénomènes qui naissent localement, mais qui peuvent avoir une extension générale. Donc, il faut vraiment penser l'atmosphère comme un système global, il faut penser la santé comme un enjeu global au sein de ces questions atmosphériques. Il faut bien réaliser que c'est sur l'enjeu sanitaire, à mon avis, pas seulement à mon avis d'ailleurs, que les négociations aboutiront ou bloqueront. Il y a malheureusement fort à parier, c'est l'histoire qui nous enseigne cela, qu'il va falloir attendre un certain nombre de crises sanitaires à répétition pour convaincre les acteurs, les décideurs et la population, qu'il faut agir contre un réchauffement climatique qui, comme cela, a l'air assez bénin : « Quelques dizaines de degrés d'ici la fin du siècle, on se demande bien… » voilà. Il faut réaliser ce que cela veut dire en termes d'évolution de la qualité des milieux dans lesquels nous vivons, milieu atmosphérique, mais aussi milieu hydrique, je n'ai pas eu le temps de rentrer dans cette discussion, mais le réchauffement climatique pourrait avoir des conséquences très importantes sur la problématique de l'eau, de l'accès à l'eau, et de la qualité de l'eau. Il faut utiliser l'échelle locale comme un modèle qui nous permet de penser les effets globaux du réchauffement climatique. Et de la même manière que je vous ai montré que les grands épisodes de pollution du début des années 50 ont été le moteur des évolutions et des mesures de lutte contre la pollution atmosphérique, avec les bénéfices que l'on a vus, il en sera de même à l'échelle globale. Mais finalement, derrière tout cela, il y a à la fois un message de mobilisation : « Attention, un certain nombre d'enjeux sanitaires ne sont pas maîtrisés, liés au changement climatique », mais il y a aussi un message d'optimisme : c'est qu'on sait agir. Et on sait que si on agit, je vous l'ai montré, on diminue les risques pour la santé. Donc, derrière cette question, et c'est pour cela que, je pense, Georges a tenu à ce que la question de la santé occupe toute une semaine au cours de ce MOOC, il y a sûrement autour de cet enjeu les facteurs de mobilisation, de succès ou d'échec des négociations, des politiques économiques et industrielles à venir, qui vont se jouer, et voilà ce que nous avons voulu faire au cours de cette semaine, c'est vous donner des clés d'entrée sur ces questions qui sont assez complexes. Mais avec ces clés, nous espérons que vous pourrez mieux comprendre la littérature sur ce sujet. Et, bien entendu, sur cette semaine, si vous avez des questions à nous poser, il nous fera plaisir de vous répondre. Alors, à bientôt. Interviewer : Merci, William.