Interviewer : Bonjour et bienvenue dans cette séquence dédiée à l'impact sanitaire du réchauffement climatique. Et pour ce faire, nous invitons donc William DAB, professeur du CNAM, qui est également Directeur du Laboratoire de recherches en modélisation épidémiologie et surveillance des risques sanitaires, et également ancien Directeur Général de la Santé. Merci William. Une première question, qui est relative aux risques du changement climatique, et ma question est : quels sont les défis essentiels qui s'accrochent aux risques du changement climatique ? William DAB : Georges, on peut dire qu'il y a deux défis essentiels : le premier défi, c'est de prendre la mesure de l'enjeu. On parle beaucoup de biodiversité, d'épuisement de sources d'énergie. En réalité, ce sont les impacts humains des évolutions climatiques qui vont jouer un rôle important dans le débat. Or, il est intéressant de voir que, tout particulièrement en France, cet enjeu, on n'en a pas pris encore la pleine mesure. J'en veux pour preuve la dernière revue du Ministère publiée par les annales des Mines, « Responsabilité et Environnement », publiée avec le soutien du Ministère de l'Economie, qui est un excellent numéro qui fait le point sur les enjeux des négociations sur l'Accord Climat Paris 2015. Dans cette revue, à aucun moment, les enjeux sanitaires du réchauffement climatique ne sont abordés. Or, pour le GIEC, avec toutes les difficultés que cela pose, une importante partie des travaux du GIEC est consacrée à cette question. D'où le deuxième défi, qui est que c'est un exercice de prévision. C'est un exercice d'anticipation. On va utiliser les connaissances du passé pour essayer de prévoir l'avenir. Il est intéressant de remarquer que c'est un changement radical dans l'histoire de l'humanité, en fait. Jusqu'à présent, c'étaient les erreurs du passé qui venaient influencer nos décisions présentes. Tout le problème du changement climatique, l'enjeu, la difficulté, les tensions qui naissent autour de cette problématique, est lié au fait que ce sont des projections sur des évolutions futures, donc hypothétiques, auxquelles on demande de venir influencer les décisions présentes. C'est une discussion - je ne vais pas m'étendre là-dessus, je l'aborde beaucoup dans mon blog qui s'appelle «des risques et des hommes», qui est sur la partie gratuite du «Monde pourrait le faire». Il suffit de faire «desrisquesetdeshommes.fr», on arrive dessus. Et dans mes billets sur ce blog, cette question des problèmes décisionnels posés par l'anticipation des faits hypothétiques, est largement discutée. Interviewer : Une seconde question, William, toujours sur le changement climatique : à votre avis, quels sont les risques sanitaires prioritaires à prendre en compte pour ce qui concerne le changement climatique ? William DAB : Le risque auquel on pense immédiatement, c'est le risque caniculaire. Nous n'avons pas oublié que quelques jours de canicule en août 2003 en France ont créé un excès de mortalité de 15 000 décès, principalement des personnes âgées, mais quand même, c'est un fardeau sanitaire tout à fait important. Ce risque est réel, et il peut faire des dégâts très importants, mais justement, c'est loin d'être le seul. Et il nous faut penser à l'impact sanitaire du changement climatique de façon beaucoup plus systémique. Il y a une première famille de risques qui est préoccupante : ce sont les risques de nature infectieuse. Les modifications écologiques, le fait qu'il pourrait faire plus chaud dans les zones tempérées, va induire un certain nombre de modifications, par exemple dans les zones de multiplication des moustiques. Donc toutes les maladies dites « vectorielles » transmises par les moustiques : on pense à la dengue, on pense au chikungunya, on pense au West Nile virus, qui ont des zones géographiques à risque élevé assez délimitées actuellement, pourraient voir leur zone d'extension beaucoup plus large. Donc oui, le péril infectieux est un des premiers sujets, après la canicule, auquel on pense. Il y a aussi quelque chose qui est considérée comme d'une grande probabilité, c'est l'augmentation du niveau de la mer, avec le fait qu'il y a 150 millions de personnes qui vivent à moins d'1 m au-dessus du niveau actuel de la mer sur le littoral. Ceci pourrait entraîner des déplacements de population très importants, et des problèmes économiques, sociaux et sanitaires tout à fait importants. Enfin, voilà, on pourrait faire une liste très longue. Mais après, il y a toutes sortes d'effets indirects auxquels il nous faut réfléchir. Sur l'approvisionnement alimentaire, par exemple : des zones qui pourraient, par pluviosité augmentée, qui verraient leur rendement agricole diminuer, ou au contraire, parce qu'il va y avoir des épisodes de sécheresse. Toute modification des conditions de production agricole peut évidemment comporter des conséquences importantes pour la santé publique. Enfin, si on revient au cœur de ce MOOC, qui est « les transports et les défis posés », il y a quelque chose d'ailleurs, que l'on observe et qui est très frappant depuis quelques années : c'est qu'en période estivale, la rapidité avec laquelle s'installent les épisodes de pollution photo-oxydante est beaucoup plus rapide. Il y a comme une charge permanente de l'atmosphère en composés organiques volatils et en oxyde d'azote, qui fait que, dès que l'énergie solaire apparaît, avec la chaleur et le vent réduit qu'il faut, on passe immédiatement - mais parfois en quelques heures - en épisode de pollution, en augmentation de la pollution photo-oxydante, et cela, c'est relativement récent. Il y a une dizaine d'années, on n'observait pas cela. Et comme je l'ai expliqué au début de cette semaine, l'ozone et les polluants photo-oxydants sont particulièrement irritants aux niveaux cardiaque et pulmonaire, et sont porteurs de risque sanitaire. Maintenant, voilà. On peut souligner que dans tout cela, il y a à la fois des faits d'observation : les canicules, cela a été observé, et puis il y a des hypothèses qui demandent à être confirmées et un des défis que nous avons sur ce sujet, c'est : jusqu'à quel point base-t-on des décisions lourdes sur des faits qui ne sont pas encore absolument démontrés ? Il y a matière à un grand débat social autour de cela.