Dans cette séquence, je vais vous présenter les principaux résultats permettant de quantifier les risques sanitaires liés aux polluants, avec un zoom particulier sur les polluants dus aux transports. Je vous le dis tout de suite, cette présentation va être très synthétique. Le corpus d'articles concernant cette question-là est considérable. C'est plusieurs milliers de publications scientifiques. Je vais donc uniquement vous donner des résultats synthétiques. Dans un premier temps, nous verrons l'impact des expositions de courtes durées, avec des délais de quelques jours, une latence courte, ce qu'on appelle « le court terme », puis l'impact des expositions prolongées dans des effets différés, c'est notamment la question du cancer. Nous verrons que quand on diminue les concentrations de polluants atmosphériques, il y a des bénéfices visibles en termes de santé publique. Et enfin, nous conclurons sur les grands enjeux. Je vous dis cette phrase assez magnifique qu'Hippocrate a écrite au IVème siècle avant J.-C. Hippocrate est à la fois l'inventeur de la pensée médicale occidentale et l'inventeur de l'épidémiologie. C'est d'ailleurs lui qui a forgé le terme, et il avait compris, uniquement avec le raisonnement, il n'avait aucun outil de mesure à l'époque, vous l'imaginez bien, que «l'air était le plus puissant agent de tout en tout. » Il avait complètement raison, parce que de tous les milieux avec lesquels l'homme est en contact, l'air est évidemment celui avec lequel nous avons le plus d'échanges. En régime habituel normal, nous respirons 20 m³ d'air par jour. Cela n'a rien à voir avec le fait que nous buvons environ 1,5 litre, que nous mangeons environ 2 kg d'aliments par jour, ou ce qui peut pénétrer dans l'organisme via la peau ou les yeux. Donc la qualité de l'air est à l'évidence un déterminant important de l'état de santé de la population. Commençons par le court terme. Donc, c'est un effet qui se produit quelques jours après une augmentation des concentrations de polluants. Prenons les particules qui, en milieu urbain, sont particulièrement liées aux transports. Voilà comment interpréter les principaux résultats : tout ce que je vais vous dire concerne un accroissement de 10 µg/m³ de la concentration de particules. Chaque fois qu'on augmente de 10 µg/m³ la concentration de particules, on augmente d'environ 1 % la mortalité toutes causes, 1,3 %, un peu plus, mais pour une cause particulière de mortalité liée aux maladies pulmonaires. Cela, c’est une synthèse qui a été publiée par l'OMS il y a une dizaine d'années, et les études récentes ont conforté cette estimation. Pour l'hospitalisation, (je redis qu’on est toujours pour un accroissement de 10 µg/m³), on augmente l'hospitalisation d'environ 0,6 % pour les maladies cardiovasculaires, 1,2 % pour les maladies respiratoires, et ceci est la résultante d'une très grande étude européenne qui a associé une dizaine de villes. Nous avons également des relations avec des phénomènes de santé moins graves que les hospitalisations ou la mortalité : les symptômes, les affections respiratoires, la toux, l'asthme, etc. Ce qui est très important, c'est que - et cela mérite une explication - il n'y a pas de seuil en dessous duquel le risque est nul. Seule l'exposition nulle garantit le risque nul. Ceci est souvent mal compris, parce qu’à l'échelle individuelle, pour moi, pour vous qui m'écoutez, il existe un seuil, bien évidemment. Le problème est que, d'une personne à l'autre, entre vous et moi, nous n'avons pas le même seuil. Certains, pour des raisons biologiques, sont très protégés des effets des polluants. Pour des raisons génétiques et pour des raisons biologiques. D'autres sont très fragiles. Ce qui fait qu'au niveau populationnel, il n'y a pas un seuil absolu, universel, en dessous duquel il n'y a pas d'excès de risque des polluants atmosphériques. C'est très important de le comprendre parce que, du coup, on a l'impression que si on respecte les normes, tout le monde est protégé. Ce n'est pas exactement vrai. Donc, il y a une idée à garder de ces études, il y a une idée fondamentale, c'est qu'en matière de pollution atmosphérique, c'est la même chose qu'en radioactivité : il faudra aller vers une diminution régulière, une logique d'amélioration continue, et s'attacher à diminuer année après année les concentrations de polluants que nous respirons. Impact à long terme, cela veut dire que quand on est exposé pendant des années et des années à la pollution atmosphérique, est-ce qu'il y a des maladies dont les risques augmentent ? Oui, il y en a. Toujours pour les particules, on aura, pour 10 µg/m³ de particules de diamètre pm de 5, une augmentation de presque 10 % de mortalité cardio-pulmonaire, de 14 % de mortalité du poumon. C'est une estimation qui vient d'études de cohortes américaines et qui, grosso modo, ont été confirmées par les études européennes. Nous avons aussi d'autres effets qui concernent les nourrissons et les jeunes enfants : par exemple, des excès de risques de décès néonatal, ou de risques de mort subite. Pour ceux d'entre vous qui ne sont pas familiers avec les échelles de mesure en épidémiologie, je veux vous dire que ces excès de risques sont faibles. Par exemple, par rapport au tabac, c'est ridiculement faible. Cependant, dans le raisonnement, il faut bien comprendre que l'impact sanitaire des polluants atmosphériques est la conjonction de deux phénomènes : une augmentation du risque individuel qui est faible, mais une taille de population exposée qui est très importante, puisque ce sont des millions de personnes - tout le monde respire les polluants de l'atmosphère. Cela, il ne faut pas le perdre de vue. La problématique de santé publique est celle d'un risque faible pour les individus, et relativement fort pour les populations, à cause de la taille de la population exposée. Ceci a été modélisé dans une très grande étude européenne qui s'appelle l'Etude Café, qui a permis sur cette carte de l'Europe, qui a croisé les données de mortalité et les données de concentration en particules, notamment en particules de diamètre aérodynamique de 2,5 picomètres, de calculer que le niveau actuel d'exposition entraînait une perte d'espérance de vie de près d'un an (9 mois), et ce qui représente en Europe chaque année environ 350 000 décès prématurés, qui surviennent plus tôt que ce que l'on aurait observé sans ces polluants. Inversement, si on diminue la pollution, est-ce qu'on voit les risques diminuer ? Oui, ce qui est très encourageant, évidemment. Il y a eu toutes sortes d'événements qui ont été utilisés par les épidémiologistes. Par exemple, à Dublin, on a interdit un charbon particulièrement polluant : les niveaux de fumée noire ont ainsi diminué de façon importante. Et dans le même temps, on a observé une diminution de la mortalité toutes causes, une diminution de la mortalité respiratoire, une diminution de la mortalité cardiovasculaire. Aux Etats-Unis, dans la vallée de l'Utah, une très célèbre étude ancienne, mais absolument magnifique : il y a eu une grève d'une aciérie, grève prolongée, de 13 mois. Cette aciérie était fortement émettrice de particules. Et pendant la durée de la grève, la mortalité dans la vallée de l'Utah a diminué de 3,2 %. Plus récemment, et dans une excellente revue, une des meilleures revues médicales du monde, The New England Journal of Medicine, les chercheurs américains ont montré, en analysant les données de 51 villes américaines, au cours de cette période de 1970 jusqu’à 2000 la concentration des polluants de l'atmosphère a beaucoup diminué. Et donc, c’était intéressant de voir ce qu'on a gagné en espérance de vie avec cela. Oui, ils ont montré cette relation inverse : chaque fois que l'on diminue de 10 µg/m³ la concentration de particules fines, on augmente l'espérance de vie de 0,6 année. La réduction et l'amélioration de la qualité de l'air aux Etats-Unis est responsable de 15 % de l'accroissement de l'espérance de vie des Américains pendant cette période. C'est quand même très intéressant de voir qu'il y a ce retour sur investissement, que la pollution, ce n’est pas juste des phantasmes. Il y a des bénéfices tangibles à attendre d'une amélioration de la qualité de l'air. Au total, sur la question de la causalité, je pense qu'on peut considérer qu'elle est réglée. Avec mon équipe, il y a déjà une quinzaine d'années, nous avons publié dans le Journal of Air and Waste Management Association un papier qui s'appelait « Air, pollution et santé : corrélation ou causalité ». Vous en avez la principale conclusion ici. Dès l'époque, nous n'avons pas été démentis depuis. Au contraire, toutes les nouvelles études sont venues renforcer cette argumentation : nous disions que le niveau de connaissances était suffisant pour affirmer que la relation entre les doses de polluants atmosphériques et les maladies cardio-respiratoires, était une relation de type causal. Les critères que je vous ai présentés en première partie de cette semaine étaient tous réunis. Je conclue. Une problématique qui est une problématique de risque faible au niveau individuel mais non négligeable au niveau collectif, le rôle très important de la taille de la population exposée comme à l'origine du nombre de cas encore très important de maladies et de décès dus à la pollution de l'atmosphère, ce qui ne veut pas dire qu'on n'a pas fait des progrès, ce qui ne veut pas dire, je le répète, que les risques sont plus importants que par le passé. Aujourd'hui, seule l'observation populationnelle permet de quantifier le risque et de surveiller cette amélioration des risques. Cette quantification est absolument nécessaire pour nous aider à dimensionner l'ampleur des efforts que nous avons à faire. Il ne sert à rien de dépenser de l'argent pour rien. La quantité de ressources disponibles pour la prévention est forcément limitée. Pour que ce débat soit serein, soit transparent, il nous faut des données de quantification des risques et pour la pollution atmosphérique, nous avons ces données de quantification. Une autre conclusion, vous l'aurez peut-être compris à travers tout ce que j'ai dit, c'est qu'il faut complètement, dans les villes occidentales, bannir la notion de « pic » ou d'« épisode de pollution ». Il n'y a plus vraiment d'épisode de pollution. Ce n'est pas parce qu'on va passer de 25 µg/m³ de particules à 50 - un doublement - qu'on va parler d'un épisode de pollution. Je vous rappelle qu'à Londres, ce n'étaient pas des microgrammes, en 1950, c'étaient des milligrammes. Cela, c'étaient des épisodes de pollution. Il y a aujourd'hui un gradient de faible dose, de faible concentration, c'est cette relation linéaire et son seuil qui doivent guider la prévention, et non pas la notion de « pic » ou d'« épisode » qui est complètement dépassée. Je conclurai en rappelant ce qu'a dit TOCQUEVILLE, avec son langage : « Plus on réduit le risque, et plus ce qu'il en reste paraît insupportable à la population ». C'est vrai que l'on entend encore des discours alarmistes en matière de pollution atmosphérique, c'est vrai qu'il y a certains jours où on a l'impression, à lire les journaux, que les Parisiens, en sortant de chez eux, vont littéralement s'écrouler sur le trottoir et faire un infarctus du myocarde. Tout le monde comprend que ce n'est pas la réalité, mais plus on fait des progrès en prévention, et plus notre exigence en matière de santé est grande. Finalement, pour un médecin, c'est une très bonne chose. Merci de votre attention.